Train, Bretagne, Nantes et LNOBPL

Je ne sais pas par quel hasard je suis tombé sur le site du projet « LNOBPL ». Je cherchais des informations sur des projets de TGV je crois. C’est alors une plongée dans un monde inconnu pour 99% d’entre nous, que je vais vous raconter.

Tout d’abord, je suis une personne curieuse, technophile et lecteur régulier d’actualités tant nationales que locales. Autant dire que je suis surpris de découvrir ce projet, plusieurs années après son lancement.

En effet, c’est la le premier enseignement : un projet ferroviaire est extrêmement long en France. C’est en lisant le rapport de 164 pages produit en juillet 2017 que je l’ai appris : ils trouvent normal qu’un projet dure entre 20 et 25 ans ! On imagine l’énorme énergie perdue, juste par cet étalement de temps : interlocuteurs changeant au cours des années, changements de priorités gouvernementales, voire de priorités connexes (exemple ici : abandon de l’aéroport de NDDL, dont la desserte faisait partie du périmètre d’étude). Pour 5 ans « seulement » serait-on tenté de dire, pour la phase de construction.

Mais je me rends compte que je ne vous ai pas dit en quoi consistait ce projet « LNOBPL » ! Cela signifie « Ligne Nouvelle Ouest Bretagne Pays de Loire ». Un nom de merde en barre comme seule l’administration sait en inventer. Pour vous dire en quoi consiste le projet : il faut étudier la construction ou la rénovation de vois ferrées sur l’ensemble des territoires de la pointe ouest de la France, c’est à dire la Bretagne historique : Bretagne administrative + Loire-Atlantique.

Deuxième constatation, le nom a été très mal choisi

Juste pour se marrer, étudions la nullité de ce nom :

  • ce n’est pas juste un nom interne de projet qui a par hasard été copié sur quelques documents : cet acronyme barbare est utilisé partout : documents, nom du site internet, nom du compte twitter, …
  • Un nom par ailleurs bien pourri pour le référencement : personne ne va le taper spontanément. Et quitte à prendre un nom qui ne veut rien dire, autant faire comme les sociétés privées et choisir un nom facilement mémorisable, comme ont fait toutes les sociétés qui se sont rebaptisées : Vinci, Redcats, etc..
  • Chaque terme est mal choisi : Ligne ? ligne de quoi, de bus, d’avion ? La ligne évoque un parcours modifiable, alors qu’on parle ici d’infrastructures localisée, de voies ferrées coutant des milliards.
  • Nouvelle : dans le genre pourri, ce terme est en haut de liste du sabir de fonctionnaire : ce qui est nouveau aujourd’hui est par définition ancien demain : pourquoi appeler quelque chose de nouveau, si ce n’est pour « faire futuriste » aujourd’hui.. et ringard demain lorsque les gens rigoleront du fait que « nouveau » veut souvent dire « ancien ».
  • Ouest : oui il s’agit de l’Ouest de la France, c’est peut-être le seul terme un peu légitime. Quoique l’ouest de la France par définition compte aussi Le Mans, la Normandie, la Vendée…
  • Bretagne Pays de Loire : pourquoi accoler deux régions alors que les Pays de Loire ne sont concernés que sur un département ? pourquoi dupliquer l’information entre « ouest » et « Bretagne Pays de Loire » ? Si on est en Bretagne Pays de Loire, on est forcément à l’Ouest.
  • Sommes toutes, un nom du genre « Voies ferrées pointe Ouest 2030 » (pur exemple) aurait été beaucoup plus parlant pour tout le monde, ou même « Train Ouest 2030 » comme nom de projet, qui a l’avantage de la concision, la clarté. Et bien sur, ce genre de projets il faut des dates, car avec des projets de 25 ans, à peine la réflexion est finie, qu’il faut de nouveau moderniser !!

Troisième constatation, liée en partie à la 2e : le projet a été très peu médiatisé.

Là, ce n’est pas forcément la faute des parties prenantes : les médias jouent un rôle crucial dans ce qu’on appelle la « hiérarchisation de l’information ». Le compte rendu se gargarise de chiffres ridicules, que n’importe forum du type « l’association des saxophonistes unijambistes de France » peut défier. Moins de 100 posts de forum, à peine quelques milliers de visites sur le site de présentation, en 9 mois de consultation. Des vidéos qui ont du coûter des milliers d’euros chacune (surtout en temps passé) pour 100 ou 200 vues..

C’est catastrophique, mais bon dire le contraire ne serait pas très vendeur pour les collectivités locales concernées. A peine un article dans un journal local (Ouest France), probablement rien sur du national. C’est pourtant, comme on va le voir plus tard, à ce moment là que pas mal de décisions stratégiques sont prises. Celui qui fait du bruit à ce moment (et ce n’est pas trop difficile vu la faible mobilisation globale) peut influer sur les comptes rendus. La faute à cette stratégie de communication absconse mais surtout, aux médias : quand on peut entendre la même information tous les quarts d’heures et parler des heures de la dernière robe d’une starlette ou des exploits de monsieur Benalla : et bien on a pas le droit à 5mn de télé ou de journal national sur un projet qui va coûter.. cher.

Cher, oui mais combien cher ? c’est là la 4e constatation ! La rénovation ou création de voies ferrées, même pas entièrement neuve, coute horriblement cher. 5 milliards environ pour ce projet (un peu moins dans certaines hypothèses mais l’ordre de grandeur est là). Cela représente, chiffre donné dans le rapport, une moyenne de 100 millions d’euros par minute de trajet gagné. Même en valorisant « le temps c’est de l’argent » une minute à 1 euro (ce qui est énorme), il va falloir 100 millions de voyages*minutes pour rentabiliser le projet. Si le voyageur moyen gagne 15 minutes (il ne circule pas sur tous les tronçons à la fois), cela représente 6,7 millions de voyages. Si pour des destinations fréquentées comme la Rennes-Nantes (nombre de passagers inconnu mais admettons 1 million par an, les deux gares ayant un trafic global de l’ordre de 10 millions), cette rentabilité est « jouable ». Pour la plupart des lignes, elle est hors de portée.

Je veux bien qu’on sponsorise, par aménagement du territoire, des endroits délaissés. Il n’y a pas de souci avec cela. Mais par contre, il faut que cela soit pertinent. Un kilomètre d’autoroute coute 6 millions d’euros (source : SUTRA). Cela fait quand même 800 km constructibles avec le même budget, là ou le rail, selon les hypothèses de tronçons, va créer ou rénover de 200 à 300km environ. Les chiffres sont compatibles avec le prix annoncé du km de voie ferrées à environ 20 millions actuellement. En plus, les autoroutes ont des péages rentables, le coût pour le contribuable est donc faible (juste la part de l’état et des collectivités dans l’investissement initial). Alors que les trains sont subventionnés à 40% de leur prix de revient, par nos impôts

 

Alors c’est sûr, une autoroute ne permet pas toujours (entre deux grandes villes reliées en direct en TGV) d’aller aussi vite que le train : mais sur pas mal de trajets locaux du quotidien, c’est la meilleure réponse. Un maillage complémentaire « LGV entre grandes villes, autoroutes pour les distances de moins de 80km » semble alors le meilleur compromis. Surtout avec l’émergence des « bus Macron ».

Jamais dans ce rapport, il n’y a de remise en cause par rapport à d’autres moyens de transport : on sent que le projet est porté par le lobby du ferroviaire, et non par un souci d’apporter au moindre coût, la meilleure mobilité pour les habitants. C’est un à priori « il faut développer les lignes de train ». Quand le budget GLOBAL pour l’ensemble des routes nationales est d’à peine (je crois, chiffre à confirmer), d’un milliard d’euros pour les rénovations.. cela parfait ridicule.

Quand de la même façon, les Nantais doivent eux aussi patienter 20 ans pour avoir 200 millions d’euros de travaux sur leur périphérique, cela semble dingue. Pourtant les gains de temps, ou du moins « non pertes », dues au périphérique, sont comparables à ceux d’un trajet en train en Bretagne « amélioré » par le projet LNOBPL.

Pourquoi donc ?

Le cinquième constat, c’est l’état alarmant de « politisation » de ces décisions stratégiques. Une bonne partie des participants à ces évènements sont des collectivités locales, de tout niveau. Si on y ajoute des lobbys non objectifs du type écolos, on imagine bien pourquoi le train est mis en avant : il donne un argument marketing du type « Telle ville est à moins de x heures de Paris » (ou plus rarement, d’une capitale régionale). On en comprend la logique : si je peux faire Paris Brest en 3 heures au lieu de 4 ou 5, alors je peux faire l’AR sur la journée, et développer du business en « délocalisation proche » : des parigos qui veulent faire travailler des sous-traitants « provinciaux » pour moins cher.

Outre que ce souci n’existerait pas si on arrêtait de tout concentrer à Paris, il faut aussi relativiser l’impact des trains : ce sont des outils pour les bobos de centre ville. Lorsqu’on doit faire un trajet « banlieue de Brest, banlieue de Nantes », plus la marge, on va arriver à 5h de trajet (sans compter les risques de grève). Et puis le trajet en 3h, c’est une fois par jour, un « temps marketing », avec souvent 30mn de plus pour s’arrêter partout. Certes, l’avion est devenu lent aussi avec tous les contrôles, mais il existe déjà. Donc pour la « clientèle pro », l’argument est limité.

Il l’est aussi pour la clientèle familiale : à plusieurs, une voiture est quasiment toujours plus économique qu’un train : on n’aide donc qu’une minorité de cadres avec enfants, qui habitent en centre ville et veulent se faire un weekend à Paris sans passer trop de temps en transports, ni les restrictions de bagages et les navettes de l’avion. Donc oui, quelques étudiants, quelques personnes seront contentes de gagner 1h de trajet, mais cela ne changera pas leur vie : et surtout, on peut leur proposer par exemple de faire Paris – St Malo puis la fin en bus.. le train n’est pas une finalité en soi.

En lisant les comptes rendus, au milieu des auto congratulations et des recommandations pertinentes, on devine le mécanisme de lobbyisme forcené auquel se livrent les acteurs locaux : chacun prêche pour sa paroisse et personne ne veut accepter une amélioration d’un temps de parcours, si cela veut dire ne plus passer par sa ville. Ainsi Redon, petite ville de 9 000 habitants, a fait une sorte de chantage pour que les améliorations de ligne continuent à passer par chez eux, au lieu d’un Nantes- Rennes direct (par exemple longeant la 4 voies) qui serait beaucoup plus logique. 9 000 habitants qui « décident » (car leur sorte de chantage a été accepté, on lit que du coup les scénarios ne passant pas par Redon ont été exclus) du sort du million qui habitent sur Nantes ou Rennes, c’est quand même fantastique. Bien sur, on comprend que ces gens là, situés « entre deux villes », sont en situation de vie ou de mort selon le tracé : mais le fait que ces tracés se gèrent par petits arrangements entre administration « ok tu as pas tel projet mais tu auras tel autre », est affligeant.

Alors que la distance entre les gares est de 107km, donc un trajet faisable en 30mn, le détour par Redon impose un temps minimum de 45 à 50mn. Donc pour gagner une douzaine de minutes sur leur trajet vers Rennes ou Nantes, les Redonais vont faire perdre 15mn à 100 x plus d’autres personnes. C’est extraordinaire comment la somme des revendications politiques locales aboutit à des choix débiles ! Mais nous ne savons pas les arcanes, peut-être que la majorité départementale au « conseil général » ne tient qu’à quelques élus et que ces élus Redonais peuvent faire tomber un président de département (il se trouve que l’équilibre est effectivement précaire dans le département 44

 

Voilà pourquoi on peut faire tous les plans d’austérité, d’économie, de réduction de retraites et tutti quanti, relance des investissements ou de la consommation.. tant que l’argent des contribuables français reste un fromage qu’on peut dépenser par milliards sans que personne soit au courant, et dilapider par milliers dans des petits arrangements entre barons locaux, la situation de la France restera mauvaise.

La France est à l’image de ses habitants : déchristianisés, ils n’ont aucun scrupule à être égoistes et profiteurs du système. La notion de bien commun a disparue au profit d’une addition de « biens » particuliers des différentes personnes ou lobbies.

 

Ajoutons que sur le fond, cette consultation a mobilisé des experts de RFF très calés, tout un tas de gens bien intentionnés, un site internet de simulation à priori très malin pour choisir au mieux les scénarios (hélas dans les limites des décisions politiques imposées, du type « passer par Redon »). Il ne faut donc pas retenir de ce billet enflammé, que tout serait à jeter, loin de là.

L’investissement de 5 milliards, à l’échelle d’un territoire concerné d’environ 5 millions d’habitants, est juste gigantesque. on a cité les 800km d’autoroute qui seraient possibles, mais on pourrait aussi dire 100 ou 200 lycées neufs, 20 000 personnes payées au SMIC pendant 12 ans. C’est énorme.

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